A chacun son alimentation, mais à bon escient !

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Il fût un temps où les règles d’équilibre alimentaire étaient uniques et recommandées à tous et à toutes quelque soient leurs individualités. Depuis quelque temps, nous voyons émerger une vraie revendication à la différence et à la personnalisation de l’alimentation. L’individu ne se considère plus comme un consommateur lambda mais comme une personne qui a ses besoins spécifiques et ses envies, ses revendications. Cette envie d’indépendance relève très probablement de la perte de confiance envers l’industrie agro alimentaire, la remise en question des recommandations officielles et l’envie de reprendre sa santé en main, au risque de faire des erreurs.

Les conseils des autres …

Le choix est d’autant plus facile que le consommateur ne se sent plus seul. Il est aidé par la communauté des réseaux sociaux dans laquelle chacun s’exprime et conseille selon ses propres expériences souvent érigées en certitudes quasi « scientifiques ». Le « Tu devrais essayer, chez moi ça a très bien marché, je me sens en pleine forme depuis que j’ai fait ça » est un argument redoutable qui balaie les avis d’experts. Pourtant le risque d’erreurs est élevé par manque d’expertise. Si la critique est aisée, l’art est difficile. Cette formule illustre bien le problème car il est très facile de supprimer des aliments, mais il est beaucoup plus compliqué de savoir par quoi les remplacer et là, silence !

L’envie de prendre soin de soi et de la planète …

L’espérance de vie est arrivée à son maximum ; environ 84 ans pour une petite fille qui naîtrait à ce jour – et 79 ans pour un petit garçon. La qualité de l’alimentation et une bonne hygiène de vie jouent un rôle essentiel (le reste revient aux gènes !). Chacun peut donc avoir l’espoir de vivre longtemps et en bonne santé ; pour cela, il faudrait manger plus de végétaux (légumes frais et secs, fruits frais, céréales complètes), et moins de gras et de sucre – quant à la viande, au poisson et aux œufs, les envies divergent : les végétariens, ne veulent plus de viande ni de poisson, mais mangent des œufs, des produits laitiers en plus des végétaux – les végétaliens rejettent tout ce qui ne relève pas du règne végétal – les flexitariens ont envie de ne rien supprimer afin de manger équilibré tout en limitant au minimum la consommation de viande et de poisson. Ce sont probablement eux qui ont le moins de risques de carences – les crudivores veulent manger tout cru et ne pas dépasser 40 degrés en cuisson – les pratiquants réguliers du jeun Détox le font pour purifier leur corps et le débarrasser des toxines – et la liste pourrait ainsi être longue. Le choix à la carte ! De tout cela que faut il retenir ….

Alimentations particulières = mode d’emploi

Bien évidemment chacun est libre de ses choix, mais le corps humain est une formidable machine qui fonctionne 24/24 et qui a donc des besoins incompressibles. A défaut de respecter cette règle de base, les carences s’installent progressivement et après une première phase très enthousiaste, les premiers signes de fatigue et de manque de certains minéraux, oligoéléments et vitamines vont apparaître. Le critère de forme n’est donc pas fiable. Ainsi le manque de calcium ne se ressent pas et ne peut pas être évalué par le simple dosage de la calcémie qui est un très mauvais marqueur. Seule la fracture trop facile en sera le témoin, des années plus tard.

Quand on supprime une famille d’aliments, il faut la remplacer par d’autres aliments complémentaires ou, à défaut, prévoir une supplémentation :

Pas de viande, ni de poisson ?
A remplacer par les œufs et les légumes secs, pour les protéines et le fer. Pour les Oméga 3 de type DHA, il faudra faire appel à certaines algues qui en sont riches et qui sont vendues en poudre sur internet.

Pas de produits laitiers ?
Boire des eaux calciques contenant au moins 500 mg de calcium par litre (Contrex, Hépar, Courmayeur). Ne consommer que des jus végétaux ou « yaourts au soja » enrichis en calcium, car ils en sont naturellement pauvres. Attention au sucre souvent trop présent dans ces produits. Les légumes frais et secs, les oléagineux de type amandes, noix, noisettes … en contiennent un peu aussi, mais ne sont pas des sources suffisantes à elles seules. Penser à l’ampoule de vitamine D tous les 3 mois.

Envie de jeûner ?
Pourquoi pas sur une journée dans la semaine si vous en avez envie, pour votre confort personnel ou dans le cadre d’un régime amaigrissant pour accélérer la perte de poids mais ne prolongez pas l’expérience au delà d’une journée. Auquel cas, le corps se met en situation de stress et va puiser dans ses réserves de quoi fournir de l’énergie aux cellules. Il produit un carburant de secours, les corps cétoniques, et puise ses ressources certes dans le gras mais aussi en grande partie dans les muscles. En somme, jeûner c’est perdre aussi du muscle, que l’on ne récupère plus après l’âge de 40 ans !

Envie de se mettre au « sans gluten » ?
Il faut avoir de bonnes raisons pour cela car le vrai régime sans gluten est très contraignant (suppression de très nombreux produits) et coûte cher (les produits sans gluten coûtent 2 à 3 fois plus cher que leurs homologues avec gluten). Au point que même les malades coeliaques qui, eux, ont de bonne raison de manger sans gluten ne sont que 30% à le respecter strictement ! En revanche, diminuer sa consommation de gluten est sûrement un bon choix et pour cela, on diminue sa consommation de pain et on choisit des variétés qui se digèrent bien (pain tradition, pain de seigle, pain au levain …), on mange moins de pâtes et davantage de légumes secs, on grignote moins de biscuits, gâteaux et viennoiseries et on les remplace par des fruits et des amandes !

Envie de se mettre au Bio ?
Très bonne idée mais qui ne garantit pas des miracles. Tout d’abord, le fait d’être Bio ne garantit pas qu’un produit soit peu gras et peu sucré. Cela n’a rien à voir. On peut manger Bio tout en mangeant très déséquilibré ; on mange simplement moins de pesticides. Ceci est surtout intéressant pour les légumes et les fruits dont on mange la peau (pommes, poires, fraises, framboises, cerises, raisin …) ainsi que les céréales complètes (pain complet Bion, pâtes complètes Bio …). L’idéal est de se rapprocher des circuits courts et des producteurs pour avoir de bons produits.

Penser aux cures de supplémentation vitaminiques
Les végétaliens sont les seuls à devoir obligatoirement être supplémentés en vitamine B12 (cette vitamine B12 n’est apportée en quantités suffisantes que via les aliments d’origine animale) ; quant aux cures de 12 vitamines et oligoéléments, elles ne peuvent qu’être recommandées car les risques de carences sont élevés et ne peuvent être diagnostiqués à moins de se lancer dans des bilans biologiques très complexes et coûteux. Le plus simple est donc, à titre préventif, de faire des cures d’un mois tous les 3 à 4 mois.

En conclusion, à chacun son alimentation certes, mais n’oublions pas que le corps a ses besoins et qu’il ne doit pas en être privé. Il faut donc être à son écoute et réagir dès les premiers signes de fatigue, d’infections récidivantes, de chute anormale de cheveux et d’ongles devenus fragiles et cassants, de peau sèche et de moral en berne. N’oublions pas comme le disait si bien Hippocrate « que ton alimentation soit ton médicament ». Par ailleurs, si vous avez envie de changer de mode de vie pour prendre soin de vous, évitez de tomber dans les extrêmes et sachez que manger un peu de tout en quantités suffisantes et avec plaisir, être actif, bien dormir et ne pas fumer, c’est se donner toutes les chances d’être bien dans son corps et dans sa tête.

Dr Laurence PLUMEY. Médecin Nutritionniste. Praticien Hospitalier. Auteur d’ouvrages et Professeur de Nutrition.